XV
UNE CERTAINE RESSEMBLANCE

La mission conduite par l’Hirondelle pour mesurer l’importance du trafic des Français à Newport se révéla plus difficile que Bolitho ne l’avait pensé. Le transit entre Sandy Hook et la pointe orientale de Long Island s’était passé sans problème, le retour semblait prendre la même tournure, Mais le temps en avait décidé autrement et la petite corvette s’était trouvée prise dans une violente tempête, si bien que Bolitho s’était résolu à mettre en fuite plutôt que de risquer d’endommager ses voiles et son gréement.

Et même après que le vent fut retombé, plusieurs jours furent nécessaires pour remonter. Il ne se passait pas une heure sans qu’il leur fallût réduire la toile ou venir à une route qui, pour être un peu plus agréable, ne contribuait guère à les rapprocher de leur but.

Les festivités de New York paraissaient bien loin et Bolitho trouva dans les efforts qu’exigeait la conduite de son bâtiment contre le vent, la mer, les marées plus qu’il n’en fallait pour dépenser son énergie. Mais il avait encore assez de loisirs pour penser à Susannah Hardwicke. En arpentant le pont, les cheveux volant au vent, la chemise détrempée par les embruns, il revivait l’instant de leur séparation, l’esquisse d’une étreinte dont il se souvenait comme si c’était hier.

Cependant, à en juger par leur silence prudent, il soupçonnait ses officiers de savoir ou de deviner ce qui s’était passé là-bas.

L’épuisement causé par ce combat de chaque instant contre le vent, les exigences incessantes de tous et de chacun était cependant tempéré par la présence de leur passager : Rupert Majendie, l’artiste peintre. Fidèle à sa parole, il était arrivé quelques minutes avant l’appareillage, muni de tout son attirail et d’un stock d’anecdotes qui les payèrent largement de son passage à bord. Dès que les éléments se calmaient, on le voyait avec son carnet, occupé à croquer les marins dans leurs occupations quotidiennes ou au repos, dansant, réalisant des maquettes ou gravant des dents de cachalot. Lorsque le temps était moins maniable, il descendait et travaillait du crayon et du pinceau à la maigre lueur d’une lanterne mouvante. Dalkeith et lui étaient devenus grands amis, ce qui n’était guère surprenant. Ils venaient tous deux de la même sphère culturelle et intellectuelle et le niveau de leurs entretiens dépassait largement celui du marin moyen.

Au bout de trois longues semaines, et alors que chaque jour ajoutait davantage à son dépit, Bolitho décida qu’il ne pouvait plus attendre. Après avoir convoqué Tyrrell dans sa chambre, il déroula la carte.

— Jethro, nous allons nous rapprocher de terre demain, dès qu’il fera jour. Le vent est encore assez fort, mais je ne vois pas d’autre solution.

Tyrrell examina longuement la carte. Les approches de Rhode Island posaient toujours problème par vent d’ouest. Qui avait le malheur de se faire prendre dans la tempête se faisait drosser vers l’est et là, une fois coincé entre l’île et la terre ferme, il n’y avait plus guère d’eau pour manœuvrer. Dans des conditions normales, la chose réclamait déjà patience et compétence. Mais avec les Français qui contrôlaient la zone, c’était une autre paire de manches.

Comme s’il lisait dans ses pensées, Bolitho compléta :

— Je n’ai pas envie de me retrouver au vent de la côte mais, si nous restons ici, autant admettre que nous avons échoué.

— Ouais… – Tyrrell s’étira – … je doute que les Grenouilles comptent trop sur leurs bâtiments dans le coin, ils doivent plutôt faire confiance aux batteries côtières pour se défendre.

Bolitho lui fit un sourire, ce qui eut pour don d’effacer les traces de fatigue sur son visage.

— Parfait, faites passer la consigne. Je veux voir les meilleures vigies en haut à partir de demain.

Mais, comme Buckle l’avait sombrement prédit, le lendemain leur apporta une déception supplémentaire. Le ciel rempli de nuages lourds, le vent qui faisait claquer les huniers alors qu’ils étaient bordés à plat, tout laissait à penser que la pluie allait venir. Et pourtant, l’air était lourd, les marins se traînaient chaque fois qu’il fallait monter changer d’amure. La détente apportée par la vie au mouillage suivie par cette nécessité éreintante de prendre un ris puis un autre pour suivre les fantaisies du vent, tout cela leur portait sur le moral. On entendait de plus en plus de jurons, les boscos poussèrent quelques coups de gueule, mais l’Hirondelle finit tout de même par se retrouver bâbord amures cap sur la terre, une fois de plus.

Ce jour était peint en gris. Bolitho, accroché aux filets, s’essuya le front de la manche. Sa peau et ses vêtements étaient mouillés tant de sueur que d’embruns.

Seul Majendie semblait heureux de rester sur le pont de son propre gré. Il maniait le fusain, corps et barbe ruisselants.

— Ohé, la terre ! Droit devant au vent !

Bolitho essaya de ne rien montrer du soulagement qu’il ressentait. Avec cette mauvaise visibilité et ce vent qui soufflait en rafale, il était impossible de se fier à l’estime pure. Il leva les yeux vers la flamme, le vent adonnait un brin. Il garda les yeux rivés sur la bande de lin, à en pleurer. Pas de doute, voilà qui était bon pour leur approche. Les choses auraient été moins simples s’ils avaient dû virer de bord.

— Venez un rhumb de mieux, monsieur Buckle.

— Bien, monsieur.

Buckle s’épongea le visage avec son mouchoir avant de passer ses ordres. Bolitho savait qu’il était parfaitement conscient des difficultés qui les attendaient, il n’était pas besoin de le brusquer. Il se tourna vers Majendie :

— J’espère que vous avez enregistré tout cela, vous ferez fortune lorsque vous rentrerez en Angleterre !

— En route nord-nordet, annonça Buckle.

— Bien, comme ça !

Bolitho s’éloigna de quelques pas. Il songeait soudain à cette jeune fille, à New York. Que penserait-elle de lui si elle le voyait en ce moment ? Il était trempé jusqu’à l’os, sa chemise pleine de taches n’était même plus l’ombre d’un vêtement. Il sourit tout seul, sans s’apercevoir que la mine de Majendie surprenait son expression.

Tyrrell arrivait en boitant et vint le rejoindre près des filets.

— Newport est sans doute à cinq milles tribord avant, monsieur.

Il leva les yeux, surpris, en voyant un rayon de soleil délavé qui éclairait vaguement la coque.

— Mais, dans ces eaux-là, on ne peut jamais rien prévoir.

— Ohé, du pont ! Des navires à l’ancre dans le nordet !

Tyrrell se frotta les mains :

— Les Grenouilles sont peut-être en train de constituer un convoi, l’escadre côtière pourrait leur tomber dessus si nous parvenons à la prévenir assez vite.

La vigie les appelait de nouveau :

— Six… non, huit bâtiments de ligne, monsieur !

Graves quitta la lisse et faillit perdre l’équilibre alors que l’Hirondelle plongeait dans un fort creux.

— Ce type est fou ! – il se baissa pour éviter un gros paquet d’embruns qui lui tombait dessus. Une paire de frégates à tout casser, si vous voulez mon avis !

Bolitho essayait de ne pas écouter les spéculations et les doutes divers qui naissaient de tous côtés. De Grasse avait sous ses ordres une flotte puissante aux Antilles, voilà qui était avéré, Son subordonné, de Barras, qui commandait à Newport, ne disposait pas de forces aussi imposantes. Il se contentait, grâce à ses frégates et à d’autres bâtiments de moindre importance, de lancer des raids contre le trafic côtier des Britanniques. Au début de l’année, il avait bien fait une incursion contre les forces basées à New York, au large du cap Henry, mais cette tentative s’était révélée décevante. Il s’était retiré dans son repaire et n’en avait plus bougé depuis.

— Montez donc là-haut, monsieur Graves, lui ordonna-t-il, et dites-moi ce que vous voyez.

Graves se précipita vers les haubans en murmurant :

— Quel imbécile ! Il ne peut pas s’agir de bâtiments de ligne, c’est impossible.

Bolitho le regarda monter. Graves avait un comportement étrange, comme s’il craignait ce qu’il allait découvrir. La peur ? Non, cela paraissait fort improbable. Il était à bord depuis trop longtemps pour ne pas connaître les risques et les enjeux de la partie qui se jouait.

— Ohé, du pont !

C’était un autre marin, agrippé à la grand-vergue d’artimon.

— Voile par le travers bâbord !

— Bon Dieu !

Tyrrell attrapa une lunette et se précipita jusqu’au tableau. Avec la pluie et le brouillard, les mouvements incontrôlés de l’Hirondelle, il mit un certain temps à repérer le nouveau venu.

— Une frégate ! cria-t-il enfin, y a pas de doute, monsieur !

Bolitho lui fit un signe d’acquiescement. L’autre bâtiment était près de la côte, il avait dû tourner la pointe, avec un maximum de toile dessus.

— Paré à virer ! cria Buckle dans ses mains.

— Annulez cet ordre ! – le cri de Bolitho avait laissé le pilote tétanisé. Puisque nous sommes déjà allés si loin, autant voir ce qu’il y a à voir avant de repartir.

Graves arrivait du passavant, la chemise en bouchon après sa descente en catastrophe.

— Il a raison, monsieur, huit bâtiments de ligne et peut-être deux frégates, sans compter quantité de transports à l’ancre.

Bolitho repensa à sa discussion avec Farr, à Sandy Hook, et à sa propre réaction quand il avait vu les deux-ponts anglais postés là. Ils attendaient quelque chose, mais pour quoi faire ? Et si ces Français agissaient de même ?

— Impossible que ce soient les bâtiments de De Grasse, monsieur, fit Tyrrell, nos patrouilles les auraient sûrement vus ; même un aveugle ne les aurait pas manqués !

Bolitho le regarda.

— Je suis d’accord, ils sont rassemblés pour faire quelque chose. Il faut informer l’amiral sans tarder.

— La frégate se rapproche rapidement, cria Buckle, je l’estime à moins de trois milles.

— Très bien, envoyez les couleurs françaises et préparez-vous à virer.

Le pavillon monta vivement à la corne pour être salué immédiatement d’un coup de semonce tiré du gaillard d’avant.

— Il ne s’est pas laissé avoir, fit Bolitho en souriant tristement ; hissez donc les nôtres, je vous prie.

Buckle s’approcha de lui, il avait l’air préoccupé.

— Je crois que nous devrions virer tout de suite, monsieur, sans quoi ce français va nous tomber dessus.

— Non, décida Bolitho, nous perdrions trop de temps et la frégate pourrait nous prendre en chasse jusqu’à Nantucket ou nous contraindre à nous échouer – il se tourna vers Graves : Allez charger les pièces de chasse, mais sans mettre en batterie.

Il lui donna une tape sur le bras, ce qui le fit sursauter :

— Et vivement, sinon monsieur le Français va s’inviter à prendre un grog !

Les hommes se précipitaient à leurs postes, en s’arrêtant parfois près des filets pour jeter un coup d’œil à la frégate qui pointait droit sur le travers bâbord. Elle s’était rapprochée, mais il y avait tant d’embruns que sa coque était à peine visible. Ses grands-voiles gonflées et ses huniers bien établis montraient cependant que son capitaine était déterminé à livrer combat.

— Paré à virer !

Les mains sur les hanches, Bolitho observait la flamme qui pendait.

— Et parés sur la dunette !

— La barre dessous !

Il sentit le pont se redresser et se demanda ce que pensait l’ennemi : croyait-il que l’Hirondelle s’esquivait ? Ou bien qu’elle se préparait à combattre ? Sous l’effet de la barre, le bâtiment commença par résister, avant de venir doucement.

— La barre dessous, monsieur ! annonça Buckle qui s’était attelé lui-même à la roue.

Les voiles hautes claquaient de façon insensée, les vergues se courbaient sous les efforts opposés des bras et de la toile encore gonflée. L’Hirondelle entra lentement dans le lit du vent, spectacle de confusion totale, gerbes d’embruns qui balayaient l’avant, les hommes qui se précipitaient de partout en jurant, certains même se faisant balayer par l’eau qui jaillissait des dalots.

Pris par le spectacle, Majendie se tenait accroché aux filets, son carnet trempé à la main. On n’entendait plus que la voix de stentor de Tyrrell qui hurlait comme un démon :

— Allez, du monde aux bras, vivement, les petits ! Bosco, activez-moi donc ces gaillards !

Essayant de ne pas s’attarder sur les tourments que subissait son bâtiment, Bolitho concentrait toute son attention sur la frégate, LHirondelle s’inclina à sa nouvelle amure sous la traction des voiles, les passavants étaient dans l’eau. Les hunes de l’ennemi apparurent soudain à tribord avant. La frégate était à moins d’un mille, mais ce brutal virement de bord avait eu l’effet désiré : au lieu de se rapprocher tranquillement par le travers bâbord, elle convergeait à présent du bord opposé sous une inclinaison beaucoup plus risquée.

— Pièce de chasse tribord !

Bolitho dut répéter son ordre avant que le jeune Fowler se décidât enfin à aller prévenir Graves.

— Eh bien, cria-t-il à Tyrrell, il va falloir qu’il se fasse à l’idée que nous devons nous battre !

Des bruits assourdis leur parvenaient de l’avant, le fracas des anspects, les hommes déhalaient la lourde pièce en batterie. La chose n’était pas facile avec la gîte, cela revenait à hisser un canon en haut d’une colline.

— Feu !

Et la fumée envahit le gaillard, la grosse pièce venait de cracher leur première réponse à l’ennemi.

Personne ne réussit à voir l’arrivée du coup, mais la gîte était telle que le boulet était sans doute passé loin au-dessus de la frégate.

Bolitho se prit à sourire : l’ennemi rentrait sa misaine, les huniers en faisaient autant comme sous l’effet d’une main invisible, la frégate s’apprêtait à attaquer l’impudent.

— Feu !

Une nouvelle fois, la pièce cracha un gros boulet qui disparut dans les embruns.

— Parés ! ordonna Bolitho en se tournant vers Buckle.

Il s’accrocha à la lisse et prit Tyrrell par le bras :

— Envoyez la misaine ! Du monde là-haut à larguer les perroquets ! Le moment est venu de faire preuve d’un peu de prudence !

La grand-voile de misaine prit le vent, Bolitho sentit immédiatement le supplément de puissance. Là-haut, les gabiers s’activaient à déferler les huniers et, lorsqu’il leva les yeux, le grand mât commençait à plier comme un arbre dans la tempête.

À voir la frégate, son plan faisait merveille. Elle essayait d’établir sa misaine, mais cette pause momentanée pour mettre sa bordée en état de tirer lui avait coûté cher : elle allait passer à trois encablures derrière l’Hirondelle. Et, le temps de reprendre le vent, elle serait encore plus loin derrière. La soudaine manœuvre de la corvette lui avait également donné l’avantage du vent.

Une rangée d’éclairs jaillit du flanc de la frégate, les boulets tombèrent tout près dans la mer encore que, avec tous ces moutons, il fût assez difficile de distinguer les gerbes des nuages d’embruns.

Un boulet passa en sifflant entre les mâts et un marin tombé de la grand-vergue dans la mer ne réapparut que loin derrière.

— Pauvre vieux, fit Majendie d’une voix brisée, Dieu veuille accueillir son âme !

— Oui, répondit Bolitho, c’est la malchance.

Sur le pont, ses hommes travaillaient comme des fous pour reprendre les bras et tourner les drisses rendues glissantes par l’humidité. C’est à peine s’ils avaient levé les yeux lorsque l’un des leurs était tombé. La tristesse serait pour plus tard, peut-être. Mais, tout comme lui-même, peut-être aussi se contentaient-ils de remercier le ciel : l’Hirondelle avait répondu à leurs sollicitations, elle était venue gentiment dans le vent alors qu’elle risquait de démâter ou, pis encore, de succomber sous les canons de l’ennemi et de fournir une prise.

— Venez plein sud, monsieur Buckle. Nous allons reprendre un peu d’eau avant de tenter un virement de bord.

Buckle se retourna : la frégate s’éloignait, elle n’avait plus le cœur à l’ouvrage.

— Elle s’en va, bon débarras ! déclara-t-il dans un grand sourire à ses timoniers. Et elle a cru qu’on allait se rendre sans combattre, non mais !

Majendie regardait Bolitho, scrutait ce visage aux traits tirés.

— D’autres que vous se seraient fait avoir, monsieur. Et même moi, vulgaire terrien, je sais que vous aviez affaire à forte partie.

Bolitho se força à sourire :

— Mais nous ne nous sommes même pas battus, mon ami – il jeta un rapide coup d’œil derrière lui. Du moins, pas cette fois-ci.

Il essayait de chasser de sa mémoire le spectacle de ce gabier en train de tomber. Il fallait souhaiter qu’il fût mort sur le coup, voir son bâtiment s’éloigner devait être encore bien pire au moment de quitter cette terre que voir la mort elle-même.

— Maintenant, allez chercher M. Graves et les vigies, il faut que nous rassemblions tous nos renseignements.

Il prit Majendie par le bras au moment où un grand plongeon menaçait de le précipiter dans la descente.

— Hé vous, là ! Je souhaite que vous preniez quelques croquis pour l’amiral, on dirait que c’est passablement à la mode ces temps-ci.

Lorsqu’il fut enfin satisfait de la route et de l’état de la voilure, il se dirigea vers l’arrière pour observer la terre. Mais elle avait disparu, la pluie noyait la pointe et la frégate qui avait été si près de les prendre au piège.

Il se débarrassa de sa chemise et s’essuya le cou et le visage. Majendie, qui l’observait, jeta un coup d’œil désabusé à son carnet détrempé. Dommage, cela aurait fait son meilleur dessin de la journée.

 

Bolitho relut attentivement son rapport et le plaça dans une enveloppe. Stockdale était debout près de la table, une chandelle et de la cire à la main, prêt à sceller le tout maintenant qu’il semblait ne plus rien y avoir à rajouter.

Bolitho se laissa aller et s’étira longuement. Pendant deux jours pleins, ils avaient bataillé ferme pour gagner dans le suroît. La terre était hors de vue, leur seul souci était de remonter dans le vent. Ils avaient tiré des bords pendant des heures et des heures, à en garder trace dans les tablettes. Et tout cela pour ne progresser que de quelques milles sur la route. Tout le monde avait souffert, mais le vent avait enfin consenti à adonner un brin et l’Hirondelle avait réussi à parer la terre ferme, Avec un peu de chance, ils pouvaient espérer jeter l’ancre sous Sandy Hook le lendemain. Il jeta un coup d’œil au livre de bord grand ouvert et se prit à sourire. Il était assez désespérant de constater que, pendant le temps qu’ils avaient mis pour atteindre Newport, lutter contre le vent et rentrer à Sandy Hook, avec cette méthode éreintante, il aurait pu traverser l’Atlantique, rentrer à Falmouth et il aurait encore eu du gras.

— Dois-je sceller, monsieur ? lui demanda Stockdale, qui attendait patiemment.

— Je pense que oui.

Il ferma les yeux pour repenser à ce qu’il avait tiré de Graves et des vigies. Les témoignages différaient sur quelques points de détail, mais il y avait en tout cas une chose de claire : il semblait plus que probable qu’une attaque combinée franco-américaine se préparait contre New York, et sans délai. Il trouvait cependant une certaine satisfaction dans le fait que, si le temps avait retardé son retour, il gênerait tout autant l’ennemi.

— Ohé, du pont ! Voile au vent droit devant !

Bolitho repoussa Stockdale et sa chandelle.

— Plus tard.

Et il se précipita hors de sa chambre.

Comme l’Hirondelle devait avant tout gagner au vent, ils étaient partis assez loin dans le suroît. Maintenant qu’ils avaient retrouvé un vent favorable, la rose était au nord-noroît et Sandy Hook se trouvait à quelque quatre-vingt-dix milles devant. L’après-midi était assez chaud, mais avec une bonne visibilité, et l’on voyait du pont la petite pyramide de toile, assez nettement pour déterminer que l’autre bâtiment était en route convergente.

— Venez d’un rhumb, route noroît.

Il prit la lunette de Bethune et la cala sur les filets.

— C’est un brick-goélette, monsieur ! compléta la vigie.

— L’un des nôtres, sans doute, fit Bolitho en se tournant vers Tyrrell.

C’était la première voile en vue depuis qu’ils avaient rompu avec le français. Cela faisait toujours du bien de rencontrer un bâtiment ami ; il ne serait pas mauvais de le faire profiter de ce qu’il savait, au cas où, se dirigeant vers le nord, il risquerait de passer trop près de l’escadre ennemie rassemblée à Newport.

Avec ce vent, il ne leur fallut pas longtemps pour se retrouver à proximité l’un de l’autre.

— Il a l’intention de se mettre sous notre vent, déclara Bolitho qui avait repris sa lunette.

Les bricks-goélettes sont des navires à l’allure assez insolite : gréement carré de misaine, gréement de goélette sur le grand mât, ils ont l’apparence de bâtiments mal dessinés et peuvent cependant battre une frégate lorsque les conditions sont favorables.

— Signalez-lui de mettre en panne, ordonna Bolitho, je veux parler à son patron.

— De toute façon, fit Tyrrell, c’est un Britannique, il n’y a pas de doute là-dessus.

Des pavillons montaient aux vergues.

— Les Cinq-Sœurs, cria Bethune.

Il fouillait dans son livre sous l’œil un peu méprisant de Fowler, un peu en retrait.

— Il est mentionné comme étant armé par le gouverneur.

— C’est bien ce que je pensais, fit Tyrrell en fronçant le sourcil, ils ne connaissent pas d’autre loi que la leur et c’est armé par un ramassis de bandits, je vous le garantis – il soupira. La réquisition les met à l’abri de la presse, à plus forte raison de risquer leurs précieuses carcasses.

Le brick était passé sur l’avant de l’Hirondelle et avançait tranquillement tribord amures. Bolitho distinguait les couleurs rouge et or frappées à la misaine. Le bâtiment semblait bien tenu, comme tous ceux qu’utilisait le gouvernement. Il allait mettre en panne à moins d’une demi-encablure.

Dalkeith et Majendie observaient le spectacle près des filets, le dessinateur croquait scène sur scène sous l’œil intéressé du chirurgien qui regardait par-dessus son épaule.

— Il met en panne, monsieur.

Le brick remontait dans le vent, voiles à contre, et son équipage s’activait à carguer la grand-voile.

Bolitho hocha la tête, admiratif : belle manœuvre !

— Lofez, monsieur Tyrrell, je vais lui parler pendant qu’il est sous notre vent.

Mais le fracas des voiles battantes rendait toute conversation très difficile, car l’Hirondelle était pratiquement dans le lit du vent et n’avait plus qu’un filet d’erre. Les haubans et les voiles semblaient s’être donné le mot pour étouffer la voix de Bolitho.

Il prit le porte-voix :

— Où allez-vous ?

La réponse lui parvint par-dessus les crêtes :

— Baie de Montego ! À la Jamaïque !

— C’est pas tellement sur sa route, remarqua Tyrrell.

— Nous avons été poursuivis par une frégate espagnole hier, reprit la voix. Je lui ai glissé entre les doigts pendant la nuit, mais vous pourriez rendre compte de sa présence à ma place.

Le brick tombait doucement sous le vent et ses vergues battaient, comme pour montrer que son capitaine avait hâte de repartir.

Bolitho laissa tomber son porte-voix. Il n’y avait pas de raison de le retenir plus longtemps, et cela lui vaudrait peut-être quelques menus remerciements à son arrivée à New York. Il était tout de même triste de constater que ce navire était placé sous les ordres de gens comme Blundell, qui ne connaissait rien à la mer et s’en souciait comme d’une guigne.

Il entendit Dalkeith murmurer :

— Mon Dieu, vous avez vu le visage du capitaine ! Je n’ai encore jamais rencontré de brûlé à ce point qui en réchappe.

— Donnez-moi cette lunette ! ordonna sèchement Bolitho.

Il arracha l’instrument des mains du chirurgien, qui n’en revenait pas, et la dirigea vers la dunette du brick.

Et il le vit à travers les haubans et les voiles battantes. En dépit de la chaleur, il avait remonté le col de sa vareuse jusqu’aux oreilles, son chapeau était planté jusqu’aux yeux. Bolitho comprit soudain que le capitaine du brick n’avait pas seulement perdu la moitié du visage mais qu’il lui manquait également un œil. Il avait une façon curieuse de tenir la tête, tandis que, de celui qui lui restait, il observait la corvette.

Ainsi, ce brick avait quelque chose à voir avec Blundell. Il les revoyait en grande conversation dans un coin du salon, il revoyait ce visage défiguré à moitié dissimulé dans l’obscurité.

Buckle l’appela, inquiet :

— Permission de remettre en route, monsieur ? Je trouve qu’on s’approche d’un peu trop près.

— Très bien.

Bolitho fit de grands signes à ceux qui se tenaient sur la dunette et se retourna vers Majendie. Le peintre était accroché aux filets, occupé à dessiner et à ombrer son croquis, estompant un trait ici, ajoutant un détail là. Les Cinq-Sœurs était en train de border sa voile d’avant pour reprendre le vent.

— Pas mal, Rupert ! fit Dalkeith en riant. Juste une remarque : nos amis marins vous donneront un petit coup de main pour vous aider avec les détails du gréement, hein ?

Tyrrell s’approcha pour regarder par-dessus son épaule. Il saisit tout à coup le carnet en s’écriant :

— Dieu du ciel ! Si je n’étais pas sûr…

Bolitho s’approcha de lui. Le dessin représentait l’arrière du brick, avec ses officiers et les marins saisis de manière très réaliste, même si, comme Dalkeith l’avait noté, quelques éléments du gréement étaient incorrects.

Mais il se sentit devenir de glace en observant les traits du capitaine tels que représentés par Majendie. Avec la distance, les terribles cicatrices s’étaient estompées et il eut l’impression de se retrouver devant quelqu’un qu’il avait connu, voilà longtemps. Ses yeux croisèrent ceux de Tyrrell.

— Vous vous souvenez, monsieur ? fit tranquillement le second. Vous étiez trop occupé à vous battre et à me protéger.

Il se détourna pour examiner le brick.

— Mais après que j’ai pris cette balle dans la jambe, j’ai eu tout loisir d’observer ce salopard.

Bolitho se sentait la gorge sèche. Avec une netteté terrifiante, il revivait la furie de la bataille comme si elle avait eu lieu la veille. Il revoyait les marins de l’Hirondelle hachés menu, repoussés du pont du Bonaventure. Et il revoyait enfin le capitaine corsaire qui le hélait du haut de sa dunette pour le sommer de se rendre.

Il cria :

— Remettez en route ! Du monde en haut, à envoyer les huniers !

Et à Majendie :

— Merci, je crois que, grâce à vous, nous allons enfin résoudre une énigme.

Dès que l’Hirondelle avait ainsi montré ses intentions et alors que le hunier de misaine commençait à se gonfler, le brick avait commencé lui aussi à envoyer plus de toile et désormais s’éloignait.

— Je rappelle aux postes de combat, monsieur ?

— Non.

Il observait le boute-hors qui pivotait jusqu’à passer par-dessus le brick, comme l’arche d’un pont. Il était déjà à deux encablures et ne perdait pas son avance.

— Il va falloir faire rondement ; nous allons l’aborder et passer les grappins. Dites à M. Graves de tirer un coup de semonce, pièce de chasse bâbord. Et vivement !

— Nous nous faisons distancer, monsieur, annonça sombrement Buckle.

Bolitho lui fit signe qu’il avait entendu. Tyrrell comprenait ce qui était en train de se passer, mais, à part lui, tous les autres se faisaient surprendre par ses décisions. En tout état de cause, il donnait la chasse à un bâtiment armé par le gouvernement et avec lequel, quelques minutes plus tôt, il échangeait des plaisanteries.

Bang. La gueule de la pièce de chasse recula violemment dans ses palans, Bolitho vit la gerbe monter à une longueur de barcasse du brick.

— Il réduit la toile à présent !

Buckle semblait plutôt content.

— Faites dire à M. Graves de rassembler un détachement d’abordage !

Bolitho ne le quittait pas des yeux, il commençait à louvoyer largement dans les creux.

— Monsieur Heyward, prenez le commandement des pièces ! Monsieur Bethune, accompagnez le second lieutenant !

Les hommes s’étaient rassemblés sur le passavant bâbord, coutelas hors du fourreau, et quelques-uns tenaient leurs mousquets au-dessus de leur tête pour éviter de tirer par erreur sur leurs camarades.

— Comme ça, monsieur Buckle !

Bolitho leva la main, les yeux fixés sur les vergues. Les voiles faseyaient, la misaine se gonfla violemment, le brick passa à bâbord avant comme si les deux bâtiments étaient tirés par des coursiers.

— On y va !

Les hommes placés le long du passavant envoyèrent leurs grappins pendant que les autres se ruaient à l’avant pour assurer le premier contact.

La distance tombait toujours, Bolitho entendit quelqu’un crier :

— Tenez-vous à l’écart ! Je vous ordonne de rester au large ! Vous tombez sous le coup de la loi !

Bolitho se détendit. S’il avait eu encore des doutes, ils s’étaient envolés. Il n’y avait pas moyen de se tromper, cette voix, trop d’hommes de l’Hirondelle avaient péri ce jour-là pour qu’il risquât de jamais l’oublier.

Il leva son porte-voix :

— Carguez vos voiles et mettez en panne immédiatement !

Il entendit un grondement, l’équipage du brick devait voir comme lui le gros trente-deux-livres que l’on remettait en batterie.

Lentement, précautionneusement, les deux bâtiments continuaient de se rapprocher. Les marins manœuvraient aux vergues dans une synchronisation parfaite avec le mouvement des safrans. La manœuvre était parfaite et l’Hirondelle, dans une légère secousse, vint porter du nez contre la coque du brick avant de se plaquer de tout son boute-hors au niveau du pied de misaine. Les grappins jaillirent du passavant, Bolitho aperçut Graves qui faisait de grands gestes à destination de ses hommes, Bethune accroché aux haubans de misaine, avec son poignard ridiculement petit pour un homme de sa taille.

Tyrrell, les deux mains posées sur la lisse, annonça :

— Tiens, il y a de la cargaison sur le pont.

Il lui montra une grande bâche sous la dunette :

— Et voilà le butin du patron, pas de doute là-dessus !

Il n’avait pas fini de parler que le premier marin se jetait sur le pavois du brick et la cargaison en pontée révéla enfin sa vraie nature. Des mains déchiraient la toile, un gros trente-deux-livres apparut soudain, amarré au milieu du pont, saisi dans ses palans et calé par des barres boulonnées.

Le grondement d’une explosion au départ du coup, suivi immédiatement par la grêle de mitraille et son horrible impact contre le passavant de l’Hirondelle. Des hommes, des lambeaux de chair volaient dans tous les sens, la confusion était totale. À travers le nuage de fumée brunâtre, Bolitho en vit même quelques-uns qui avaient été projetés de l’autre bord.

Dans un concert de cris, cinquante hommes jaillirent du grand panneau et se ruèrent à l’assaut. Il chercha son sabre, comprit soudain qu’il avait oublié de le prendre dans sa chambre. Les hommes criaient, des hurlements s’élevaient de toutes parts, l’acier heurtait l’acier, le feu des mousquets faisait rage.

Un marin tomba lourdement des filets et heurta Tyrrell qu’il bouscula contre la lisse. Il resta là, la jambe tordue sous lui, le visage crispé de douleur.

— Montez à l’assaut, monsieur Buckle ! cria Bolitho.

Il arracha le coutelas pendu à la ceinture du marin et courut au passavant. Ses yeux brillaient dans la fumée, il sentit plusieurs boulets passer au-dessus de sa tête, l’un d’eux découpant un filet comme un couteau invisible.

Le brick n’avait aucune chance contre l’artillerie de l’Hirondelle. Mais, amarrés l’un à l’autre comme ils l’étaient par les grappins, ils pouvaient faire durer le combat et la corvette n’était pas sûre de l’emporter. Bolitho avait déjà suffisamment pratiqué ce petit jeu lui-même et en connaissait les ficelles.

Il grimpa comme un fou dans les enfléchures de grand mât et constata avec étonnement que Graves se trouvait toujours par-dessous, sur le pont principal. Il criait après ses hommes pour les encourager, mais semblait incapable de les suivre. Il n’y avait pas trace de Bethune, il vit Fowler qui s’était rendu à l’avant pour repousser l’attaque d’un petit détachement qui tentait de prendre pied par-dessus la guibre.

Il se laissa glisser en bas, manqua tomber entre les deux coques, se retrouva sur le pont du brick. Un coup de pistolet explosa à lui toucher le visage, faillit l’aveugler, mais il écarta l’arme grâce à son grand coutelas, sentit un léger impact et entendit quelqu’un hurler.

— L’arrière !

Il essaya de se frayer un chemin parmi ses hommes, aperçut Bethune qui, se servant d’un mousquet comme d’une canne, les cheveux tout ébouriffés, essayait de rallier les débris de son détachement.

— Prenez l’arrière, les gars !

Quelqu’un poussa un grand cri, les marins ragaillardis se ruèrent à l’arrière. Ils jouaient des pieds et des jambes, enjambant des blessés qui geignaient ou des cadavres sans y prêter plus attention. Personne n’avait le temps de recharger les mousquets, le combat tourna rapidement au corps à corps à l’arme blanche.

Au milieu de toutes ces silhouettes enchevêtrées, Bolitho aperçut la roue, un aide-pilote qui se tenait debout près d’elle tandis que les autres étaient figés dans les différentes attitudes de la mort. Ce spectacle de désolation montrait assez qu’à bord de l’Hirondelle quelqu’un avait réussi à rassembler suffisamment de tireurs d’élite dans la mâture.

C’est alors qu’ils se retrouvèrent face à face, une fois de plus. Bolitho, la chemise déchirée jusqu’à la taille, les cheveux plaqués sur le crâne, se rua couteau en avant sur son ennemi.

L’autre capitaine ne bougeait pratiquement pas, le sabre en garde devant lui. Vu d’aussi près, son visage était encore plus horrible, mais ses talents d’escrimeur ne faisaient aucun doute. Il se rua en avant.

Leurs lames se heurtèrent dans un bruit suraigu, des étincelles jaillissaient sous le choc de l’acier, ils se retrouvèrent bloqués garde contre garde, verrouillés dans un véritable bras de fer.

Bolitho observait fixement cet œil de cyclope, il sentait tout contre lui la chaleur de son haleine, le tremblement de son épaule lorsque son adversaire le poussa contre la roue en lâchant un juron, écarta le coutelas et plongea en avant de deux mouvements, comme dans un éclair. Le coutelas tomba lourdement, chaque tentative devenait plus douloureuse. Bolitho surprit un rictus, l’homme savait qu’il était sur le point de l’emporter.

Au-delà de la lisse, le combat continuait sans désemparer, mais il entendit Tyrrell qui criait au-dessus de lui :

— Allez aider le commandant ! Pour l’amour de Dieu, aidez-le !

Tandis qu’ils tournaient l’un autour de l’autre comme des chats sauvages, Bolitho vit soudain Stockdale qui taillait et hachait de bon cœur en tentant de le rejoindre. Mais il se battait à un contre trois, au bas mot, et il commençait visiblement à fatiguer comme un taureau blessé.

Bolitho leva son couteau à la hauteur de la ceinture de son adversaire. Ses muscles l’abandonnaient. Si seulement il avait pu changer de main ! Mais la moindre tentative en ce sens signifiait une mort certaine.

Le sabre jaillit une fois encore, la pointe passa à travers sa manche et lui toucha la peau comme un morceau de fer rouge. Il sentait le sang qui coulait de sa blessure, eut encore la force de regarder l’œil unique qui le fixait comme une pierre enchâssée à travers un brouillard de souffrance.

Le commandant du brick criait :

— C’est maintenant, capitaine ! Le moment est venu ! Et il est pour vous !

Il bondit si rapidement que Bolitho n’eut pas le temps de voir la lame venir. Le sabre prit le coutelas à quelques pouces de la garde, le lui arracha des mains comme on ôte un jouet à un enfant et l’envoya valdinguer par-dessus la lisse.

Il y eut un choc sourd, Bolitho sentit la balle passer à lui frôler l’épaule. La chaleur était si épouvantable, le coup n’avait dû passer qu’à un pouce. Elle cueillit l’autre à la gorge et le bascula sur le côté, son sabre tomba plus loin. Il resta allongé quelques instants, donnant des coups de pied dans le vide avant de s’immobiliser définitivement.

Bolitho vit Dalkeith passer la jambe par-dessus le pavois, s’agenouiller près de lui, son pistolet encore fumant à la main.

Un silence soudain se fit à bord des deux bâtiments. L’équipage du brick déposa les armes, attendant de savoir si on lui faisait quartier.

— Merci, fit Bolitho, le coup n’est pas passé loin.

Mais Dalkeith semblait ne pas l’entendre. Il répondit brusquement :

— Ils ont tué Majendie. Abattu comme un chien pendant qu’il tentait de secourir un blessé.

Le chirurgien déchirait sa chemise pour lui confectionner un pansement de fortune.

Ainsi, Majendie était mort, et tant d’autres avec lui. Il baissa les yeux sur le cadavre qui gisait près du pavois. S’il avait mieux dissimulé son visage, il aurait pu s’en sortir. Et, sans Majendie, c’est sûrement ce qui serait arrivé. Peut-être, tout comme lui-même, n’avait-il jamais oublié cette journée à bord du corsaire. Peut-être avait-il décidé d’en finir une bonne fois pour toutes, à sa manière.

Il se retourna pour examiner les deux bâtiments. Il y avait tant à faire, tant de choses à découvrir avant qu’ils atteignissent Sandy Hook.

Quelques-uns de ses hommes se mirent à pousser des vivats tandis qu’il passait le pavois, mais la plupart d’entre eux étaient trop épuisés pour faire seulement un geste.

Colère, dégoût, sentiment de gâchis, voilà quels étaient les sentiments qui l’agitaient tandis qu’il traversait les rangs de ses marins. Et dire que des hommes étaient morts à cause de cette trahison, pour accumuler des richesses au profit de gens qui restaient prudemment dans l’ombre.

— Mais pas cette fois, non, pas cette fois-ci !

Il se surprit à parler à voix haute sans s’en rendre compte.

— Quelqu’un paiera pour ce que nous avons souffert aujourd’hui !

Et il songea à la jeune fille de New York : comment pourrait-elle bien le protéger lorsque la vérité éclaterait au grand jour ?

 

Armé pour la guerre
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